Quand l’événementiel intègre la prévention solaire : Interview de Yann Desgrée (AGIR Magazine)
Dans son numéro 119, AGIR Magazine consacre un dossier spécial de 10 pages à une problématique de plus en plus prégnante : le risque solaire en milieu professionnel. Le sujet prend une importance accrue depuis la publication du décret du 27 mai 2025 relatif aux risques liés à la chaleur et aux UV. Ce dossier revient sur les enjeux, les obligations nouvelles et les bonnes pratiques à mettre en place pour protéger efficacement les travailleurs exposés.
Retrouvez la synthèse complète sur notre site : Un dossier spécial “Développer la sécurité solaire” dans AGIR Magazine
Parmi les contributions marquantes de ce numéro, figure l’interview de Yann Desgrée, directeur de production dans l’événementiel, qui revient sur la manière dont son métier intègre désormais le risque solaire comme un risque professionnel à part entière. Des procédures adaptées aux pics d’ensoleillement, à la distribution de protections (crème solaire, casquettes, lunettes), jusqu’à la sensibilisation des équipes et à l’anticipation dès la conception des événements, il détaille les leviers pour faire évoluer les pratiques et installer une véritable culture de prévention.
Directeur de production dans l’événementiel
Agir Mag : Vous avez récemment piloté la production des cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques. Comment abordez-vous le risque UV dans l’organisation de spectacles en extérieur ?
Yann Desgrée : La lumière, dans notre métier, est partout. C’est notre matière première. Heureusement, depuis quelques années, le métier prend conscience que cette lumière, naturelle comme artificielle, peut être un risque. En ce qui concerne les UV solaires, les équipes techniques sont les premières concernées : moteurs, régisseurs, techniciens lumière, sécurité, hôtesses… Tous ceux qui arrivent sur un site éphémère bien avant le public et qui passent plusieurs heures en plein soleil, souvent sans ombre ni abri.
Pour les JO comme pour les autres grands événements, ce risque doit être intégré à nos procédures : mise à jour du document unique, adaptation des plannings en fonction des pics d’ensoleillement, manutention de charges lourdes et installations complexes organisées, autant que possible, en matinée. Entre 12h et 16h, nous imposons des pauses à l’ombre, avec de l’eau fraîche à disposition et des zones de repli. Nous distribuons aussi des lunettes, des casquettes, de la crème solaire SPF 50, avec un affichage des recommandations UV en régie. C’est simple, pas coûteux, et bien perçu. On y gagne en sécurité mais aussi en ambiance de travail !
Agir Mag : Vous évoquez aussi l’importance de la sensibilisation des acteurs de terrain ?
Y.D : Absolument. La sensibilisation reste un levier essentiel ! Il ne suffit pas de diffuser des consignes, il faut qu’elles soient comprises pour être acceptées, puis intégrées dans une pratique, comme un réflexe qui, à force, devient automatique. Pour cela, la formation des équipes de terrain, notamment celles qui ont un rôle d’encadrement, est déterminante. On doit passer du message général à une réalité vécue, en démontrant les bénéfices de la prévention, et son impact positif. C’est un peu comme l’accidentologie qui peut être vécue comme punitive si on n’en a pas expliqué les enjeux. La prévention du risque solaire relève un peu de cette logique d’implantation par la pédagogie, en étant toujours factuel et pragmatique. Comme pour le bruit ou la hauteur, le risque solaire devient un risque technique à traiter au même titre que les autres. C’est une culture à construire, mais elle progresse vite dès qu’on explique le pourquoi.
Agir Mag : Quels seraient, selon vous, les leviers pour aller plus loin dans la prévention ?
Y.D : Je dirais trois choses : anticiper, normaliser, et former.
Anticiper, c’est prévoir l’exposition solaire dès la conception du projet, en anticipant les aléas climatiques. Beaucoup de spectacles d’extérieur ont lieu en été et nous favorisons par exemple désormais les scènes orientées au nord, ou les structures semi-couvertes. Comme directeur de production, je veille à ce que soient budgétées des bâches, des abris, des boissons fraîches.
Normaliser, c’est travailler avec nos fournisseurs d’éclairage pour qu’ils testent et classent leurs sources en termes de risque photo-biologique, selon la norme EN 62471, comme le recommande l’INRS. C’est encore marginal, mais on y vient…
Former, enfin : tous les directeurs techniques devraient être sensibilisés au risque UV, car c’est une question de responsabilité. Sur un festival, on peut avoir plus de 200 personnes sur un site pendant les montages. Si on ne pose pas la question de la chaleur ou des coups de soleil, on est à côté de la plaque. Il faut qu’on arrête de penser que ce sont des aléas inévitables. Le soleil n’est pas qu’un décor, c’est un facteur de risque à part entière.