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Le blanchiment de la peau, à quel prix ?

santé 17 Oct 2017 Dossiers

Alors que la plupart des individus à peau claire recherchent aujourd'hui le soleil pour bronzer, il existe à l’inverse un nombre conséquent de personnes à peau foncée dont le chic ultime consiste à s’éclaircir la peau. Retour sur une pratique à risque.

S'éclaircir la peau n’est pas une démarche nouvelle. Dès 1952, un jeune médecin martiniquais de 27 ans appelé Frantz Fanon en analysait les ressorts psychologiques et psychanalytiques dans un essai coup de poing de 188 pages intitulé "Peau noire, masques blancs". 55 ans plus tard, le 27 novembre 2007, l'émission radiophonique "Les pieds sur terre" de Sonia Kronlund, diffusée sur France Culture, remettait le couvert. Fille d'une Ivoirienne et d'un Sénégalais, Aminata, 35 ans, en France depuis 1998, y expliquait son expérience en matière de crèmes éclaircissantes, leurs résultats mais aussi les risques que ces produits sont susceptibles de faire courir à celles qui, comme elle, sont prêtes à y consacrer "*1 000 à 1 500 euros par mois".

Dysfonctionnement des glandes surrénales, mauvaises odeurs corporelles du fait de l'abrasion des deux premières couches de peau, fragilisation et vieillissement accéléré voire cancer de la peau, stérilité, cancer du sang, la liste des effets secondaires est d'autant plus longue que la provenance et la composition des produits sont parfois floues. Il suffit d'entrer dans une boutique spécialisée du dix-huitième arrondissement de Paris ou du septième arrondissement de Lyon pour s'apercevoir que le marché se porte pourtant bien. "Les rayons consacrés aux produits éclaircissants occupent autant sinon davantage de place que les autres produits, capillaires notamment" observe Angela\, Malgache de 32 ans installée à Lyon depuis 1993 et habituée de ces boutiques. Les produits en question s'appellent Body Light, Skin Light, Vite Fait, Fair & White, Always, Halog, Clovate, Bio Claire, Mekako ou X-White Plus. Les notices sont rédigées en anglais, en espagnol ou en italien, et les prix varient entre 2,50 € et 6 € pour des doses allant de 30 à 50 ml sous forme de savons, d'huiles ou de tubes de crème aux parfums citronnés. Des prix plus qu'attractifs ? Voire. Pour le professeur Jean-François Doré, chercheur à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), l'astuce procède surtout d'une logique purement arithmétique : "*La surface corporelle d'un individu lambda est d'environ 1 m2, et il faut 1 milligramme de produit cosmétique pour recouvrir 1 cm2 de peau. Donc pour une application sur le corps entier, un tube de 30 grammes partira en deux jours. Il faut en conséquence tabler sur une quinzaine de tubes par mois, sans compter les crèmes complémentaires... A 5 € le tube, le calcul est vite fait.

"C'est à cet instant précis du raisonnement qu'interviennent les vendeurs à la sauvette et autres détours par l'arrière-boutique, ainsi que le mentionne Aminata dans le reportage de France Culture. "Injections de cortisone, produits à base d'huile de frein de voiture, d'eau oxygénée, de Cif ammoniacal ou d'eau de Javel, certaines femmes sont prêtes à tout pour continuer le traitement à moindre prix" confirme Mélanie\, une Ivoirienne de Lyon de 31 ans, qui précise également que les personnes de son entourage qui ont recours à ces produits préfèrent nier que de l'avouer. "Mon mari est tombé du vingtième étage lorsqu'il a appris que je me dépigmentais" confie Aminata dans l'émission de France Culture. Trois heures de salle de bain à l'aube, du parfum plusieurs fois par jour pour masquer la forte odeur corporelle née de la disparition des premières couches de peau, des cols roulés en été ou des mains cachées sous la table pour ne pas montrer les différences de coloration que les phalanges trahissent, chaque minute est au service de cette quête où l'aspect extérieur se met au diapason d’une aspiration intériorisée. "Une peau claire, c'est un filon pour trouver un mec, assume Aminata qui en est pourtant revenue depuis après une longue addiction. Les traits du visage se voient davantage, les bijoux ressortent mieux. Une femme est plus sollicitée par les hommes lorsque sa peau est éclaircie." Frantz Fanon ne disait pas autre chose lorsqu'il évoquait "cette volonté déterminée d'acquérir les propriétés de revêtement, c'est-à-dire la partie d'être ou d'avoir qui entre dans la constitution d'un moi" ("Peau noire, masques blancs", op. cit., p. 41).

S'agissant des conséquences cutanées, le verdict des scientifiques est clair : "Si cancer de la peau il y a, cela n'est pas dû à la perte de mélanine mais bien au produit utilisé" affirme ainsi le Docteur Jean-Pierre Césarini, qui a beaucoup potassé le sujet il y a quelques années. "Une peau éclaircie se retrouve un ou deux tons en dessous de sa pigmentation de départ, poursuit le professeur. Par nos latitudes à climat tempéré, cela porte en principe moins à conséquence que dans les pays chauds. Il en découle néanmoins une baisse de l'immunité cutanée et donc un risque accru d'infection. Le vitiligo contracté par le chanteur Michael Jackson en est l'exemple le plus célèbre."

© Motown / Abacapress.com

Au rang des ingrédients incriminés, la cortisone et l'hydroquinone. La première bloque le transfert de la mélanine, la seconde en est un inhibiteur de synthèse que l'Union européenne a toléré à une concentration maximale de 2 % dans la composition d'un produit, avant de l'interdire en février 2001. A cet égard, la Suisse a publié en 2003 un rapport sur la question. Rendu par le Service de protection de la consommation de la Direction générale de la santé, ce rapport s'intitule "Campagne de dosage de l'hydroquinone dans les produits cosmétiques". Deux passages méritent ici d'être cités. En matière de produits éclaircissants, le rapport note ainsi : "Il s'est avéré que dépendant de la provenance, ce qui est indiqué sur l'emballage ne correspond pas toujours à ce qu'on est susceptible de trouver dans l'échantillon, d'où la nécessité d'un contrôle général. Par exemple, bien des produits ne faisaient pas allusion à l'hydroquinone sur l'emballage mais contenaient cette dernière comme substance de blanchiment de la peau souvent présente à des concentrations élevées." De même, suite aux dégâts causés par cette utilisation de l'hydroquinone notamment à forte dose, plusieurs études ont recherché d'autres substances susceptibles de blanchir la peau. Le rapport suisse en dit ceci : "Une entreprise japonaise a travaillé sur de nouvelles substances, notamment l'arbutine et l'acide kojique, mais des problèmes de stabilité et de sécurité sont encore à maîtriser. D'autres chercheurs ont étudié les extraits de plantes, les microbes et les champignons dans leur quête de substances dépigmentantes. La littérature mentionne les effets dépigmentants des acides lactiques, alphahydroxy, azélaïques et linoléiques. Ces produits doivent cependant être utilisés à concentration très faible ou encore sous surveillance médicale."

Il est vrai qu'en la matière, la frontière entre médicament et cosmétique reste ténue, ainsi que le rappelle le professeur Jean-François Doré : "Un médicament nécessite une autorisation de mise sur le marché. Il correspond à des indications précises et revendique un effet. Il peut avoir des effets secondaires, mais dans ce cas la balance entre l'aspect bénéfique du médicament et les risques qu'il occasionne doit nettement pencher en faveur du côté bénéfique. Un cosmétique, en revanche, ne peut pas revendiquer d'effets secondaires ou toxiques. Il ne peut avoir qu'un effet positif." Dans quelle catégorie ranger ces produits éclaircissants, alors ? Sont-ils correctement étiquetés conformément à la législation de l'Union européenne ? Hors agrément communautaire, le dosage des ingrédients correspond-il réellement à celui qui apparaît sur la notice, lorsque notice il y a ? Ce sont là toutes les questions induites par la pratique "honteuse" mentionnée par Mélanie et Aminata. "Il faut une plainte pour saisir la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, rappelle le Docteur Jean-Pierre Césarini. Or là où il  y a omerta, il n'y a pas de plainte. Une personne qui utilise ces produits et voit apparaître des effets secondaires sur sa peau va au pire chercher à les cacher, au mieux en parler à un dermatologue qui ne fera un rapport que si, etc. Cela fait beaucoup de "si", pour une question qui mériterait pourtant beaucoup plus de considération." D'autant que vue d'Afrique, la pratique en question s'analyse avec un sourire doux-amer, effaçant la science pour contempler l'Histoire, ainsi que l'écrit le professeur Fadel Dia dans son essai "A mes chers parents gaulois..." (Les Arènes, 2007, p. 204) : "Nous devrions sans doute nous réjouir de cette confusion des dermes. Malheureusement, moins par esprit de contradiction que parce qu'en vous imitant nous espérions bénéficier de la même considération, au moment où vous bronzez, nous cherchons à nous blanchir, à nous rougir plus exactement, à éclaircir artificiellement nos peaux noires. C'est surtout le fait des femmes mais la dépigmentation fait des ravages sur la peau et la conscience des Sénégalais. (…) Pour notre part, nous observons que si le soleil y avait mis du sien en donnant à chacun ce qu'il recherche, s'il avait basculé un peu de votre côté, vous qui êtes en manque de cette drogue, chacun d'entre nous y eût probablement trouvé son compte..."\ Les prénoms ont été changés.*

Anthony Diao

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