Accueil

Des nanoparticules dans les crèmes solaires

santé 13 Oct 2017 Crèmes solaires

Par Marie-France Corre, ancienne responsable des essais à UFC-Que Choisir, aujourd'hui consultante en consommation et développement

Depuis le vent de panique provoqué en mars 2005 par le reportage d’Envoyé Spécial, les consommateurs n'ont toujours pas de quoi être pleinement rassurés quant à l’innocuité des gels douche, crèmes anti-rides et autres crèmes solaires. Après le débat des ingrédients chimiques potentiellement toxiques pour l’homme, les nanoparticules et nanomatériaux sont passés sur le devant de la scène. Fini le temps où la présence de "nanosomes" dans un produit de beauté était un "plus produit" indéniable : on craint désormais le passage de ces minuscules particules dans l’organisme, avec des risques pour la santé si elles venaient à s’accumuler dans les tissus.

Des nanoparticules dans les crèmes solaire

Minuscule en effet, un nano-matériau possède au moins une de ses dimensions extérieures inférieure à 100 nanomètres (un nanomètre est égal à un milliardième de mètre, une nano-particule a quant à elle toutes ses dimensions inférieures à 100 nm). Un tel changement d’échelle, modifiant les surfaces d’échange, apporte au matériau "nano" une réactivité chimique bien plus importante que sous sa forme conventionnelle.

En Europe, 3 % des cosmétiques, des dentifrices aux crèmes hydratantes, contiendraient des nanoparticules. Dans les crèmes solaires en particulier, le dioxyde de titane sous forme "nano" donne une consistance agréable, et non un mélange plâtreux et épais qui laisse des traces blanches sur la peau. Côté étiquetage, aucune obligation d’indiquer la présence de nanomatériaux : seul le nom des substances, non leur forme, est indiquée. La directive d'enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques (REACH) ne devrait pas faire évoluer cette situation puisque rien de spécifique n’y est prévu pour les nanoparticules.

Partout dans le monde, les associations s’inquiètent : les cosmétiques contenant des "nano" pourraient passer à travers la peau après leur application. Dès mai 2006, les équipes australiennes et américaines de l’association Les Amis de la Terre, ont publié un rapport sur les nanoparticules dans les cosmétiques [1]. Un site internet dédié aux nanotechnologies a également été crée. Aux Etats-Unis, les tests de crèmes solaires du magazine Consumer Reports ont précisé la présence de filtres "nano". En Grande-Bretagne, le magazine de consommateurs Which? a montré que la majorité des consommateurs ne connaissent pas ces matériaux : 36 % seulement d’entre eux savent qu’il peut y en avoir dans les cosmétiques [2] [3]. En France, le magazine Que Choisir, plus modéré, estimait en 2007 que les "nano" pourraient passer la barrière cutanée en cas de peau lésée ou de mouvement de flexion/extension [4]. Demande commune de ces différentes organisations : un étiquetage spécifique des produits de consommation contenant des "nano".

Parmi les autorités sanitaires, aucune n’a réellement tranché sur la question : l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail réclamait en 2006 de nouvelles études [5] [6] ; aux Etats-Unis, la FDA suggérait la mise au point de méthodes d’évaluation spécifiques et à Bruxelles, le SCCP [7]  jugeait peu probable le passage transcutané, sauf dans des cas bien particuliers. Les fabricants, eux, continuent l’utilisation des nano, estimant que les particules ont tendance à s’agréger, ce qui permet de les maintenir au niveau des couches superficielles de la peau.

Alors que les risques pour la santé des nanoparticules ne sont donc ni démontrés, ni démentis, la contamination de l’environnement apparaît plutôt inquiétante. En mars 2009, Cyndee Gruden, Ph.D. et Olga Mileyeva-Biebesheimer, ont présenté une étude sur le dioxyde de titane (TiO2) présent dans les crèmes solaires et certains cosmétiques. Les deux scientifiques ont testé la survie de la bactérie Escherichia coli (E.coli) exposée à des nanoparticules de TiO2, et ont constaté une réduction significative des fonctions biologiques de ces micro-organismes à des doses très faibles (de l’ordre de 10 à 100 µg par litre de TiO2). Leur conclusion : ces particules, présentes dans les eaux traitées dans les stations d’épuration, seraient capables d’endommager les micro-organismes qui jouent un rôle vital dans les éco-systèmes et participent au traitement de l’eau.

Pour le consommateur désireux d’éviter les "nano", la marge de manœuvre est faible : il peut se tourner vers les solaires bio labellisés, les cahiers des charges des labels BDIH, Nature & Progrès, Cosmébio ou Ecocert qui interdisent l’utilisation de nanoparticules. Ou bien choisir un produit solaire contenant uniquement des filtres solaires chimiques, avec les inconvénients que cela comporte…

1 . Friends of the earth USA and Australie, Nanomaterials, sunscreens and cosmetics : small ingredients, big risks, May 2006

2 . Étude de Which? effectuée sur 2,091 adultes âgés de plus de 16 ans du 14 au 18 Novembre 2007

3 . Consumers unaware of nano-revolution, Consumer Association, corporate press releases, 20 December 2007

4 . Nanotechnologies, A prendre avec des pincettes, Fabienne Maleysson, Que Choisir, Février 2007

5 . Avis de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail relatif aux effets des nanomatériaux sur la santé de l’homme et sur l’environnement, Saisine Afsset n° 2005/010, Juin 2006

6 . Les nanomatériaux, Avis de l’Afsset, Effets sur la santé de l’homme, et sur l’environnement1,5 nm, Rapport du groupe d’experts, July 2006

7 . Scientific Committee on Consumer Products, Preliminary opinion on safety of nanomaterials In cosmetic products, June 2007

Voir aussi